À celui qui est prêt
Novembre 2024
« À celui qui est prêt à faire l’effort de me suivre, je suis prêt à tout donner ! » disait Michio Hikistuchi Sensei, 10e dan Aïkikaï Tokyo.
Hikitsuchi Sensei a été l’élève de Morihei Ueshiba O Sensei durant les quarante dernières années de la vie de ce dernier. Il l’a accompagné dans de nombreux voyages, démonstrations dans les temples, longues et intenses pratiques de purification dans les montagnes de Kumano et au bord de l’Océan. Il affirmait qu’il était le seul à avoir reçu l’enseignement spirituel de O Sensei. Par cela, il est devenu un immense puit de richesses, de savoir-être, de connaissances du fonctionnement profond de la vie et des articulations subtiles entre tous les éléments constitutifs de la grande nature.
Qu’entendait Hikitsuchi Sensei lorsqu’il disait : « À celui qui est prêt à faire l’effort de me suivre, je suis prêt à tout donner ! » ? Que signifie être prêt à me suivre ? Que signifie « tout donner » ?
Tout comme le jardinier ne peut rien planter ni semer dans une terre sèche et aride, le Sensei ne peut rien apporter à un être aride et fermé. Il s’en détourne simplement et va son chemin.
Lorsque la terre est humide, meuble, alors elle peut être travaillée et ensemencée. Il en va de même du pratiquant, de l’élève.
Suivre le Sensei n’est pas se limiter à écouter ses explications et ses corrections durant une pratique. C’est se mettre dans un état de totale ouverture pour permettre l’ensemencement. Permettre à tout son être d’être nourri, imbibé, imprégné. Pas uniquement sur les plans cognitif et psychomoteur, mais également dans sa conscience, dans sa faculté à voir, à ressentir, à être en relation à tout ce qui l’entoure, dans son cœur et dans son âme. Seul un état de totale vacuité, d’ouverture et d’éveil permet cet enrichissement. Toute forme de résistances est comme la pierre dans la terre fertile : inerte et stérile.
Faire l’effort de suivre le Sensei, c’est se dépasser, aller dans l’inconnu, dans l’inconfort souvent, se faire violence parfois, sortir des ornières de ses habitudes et de ses certitudes, inlassablement, encore et encore, durant les pratiques ainsi que durant tout l’intervalle de temps qui sépare une pratique de la suivante. C’est garder dans son cœur et dans son esprit une juste tension, un lien permanent avec le Sensei, une ouverture ainsi qu’une disponibilité de chaque instant. Par exemple, c’est dire oui à toutes les occasions qui sont offertes de rencontrer ou d’accompagner le Sensei, dussions-nous renoncer à des activités ou à des engagements déjà prévus. C’est aussi rester connecté en permanence à son Sensei, avec le cœur et l’esprit, pour ressentir l’état dans lequel se trouve le Sensei, la direction qu’il prend et les actions qu’il va entreprendre. C’est encore anticiper les besoins du Sensei et se rendre utile, se mettre à son service avant même qu’il n’en ait formulé la demande et ce, même lorsqu’on en est éloigné, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. C’est un entraînement du cœur et de l’esprit, un état d’esprit à adopter. La tâche est importante, considérable même. Elle semble impossible à réaliser, inatteignable. L’effort de suivre le Sensei semble beaucoup trop important. C’est bien la raison pour laquelle de si nombreuses personnes n’ont pas su suivre, comprendre ni intégrer l’enseignement magistral de Hikitsuchi Sensei.
À celui, toutefois, qui était prêt à faire cet effort pour suivre Sensei, ce dernier était prêt à tout donner. Lorsqu’il sentait chez son élève cette soif, cette disponibilité, cette ouverture d’esprit, cette sincérité et cette détermination, alors il consacrait beaucoup de temps et d’énergie à partager son expérience, à déverser dans le cœur et l’esprit de son élève le nectar qu’il avait lui-même reçu de O Sensei, avec joie. L’exigence était élevée, proportionnelle à sa bienveillance. Le canal de cette transmission était toujours I Shin Den Shin, de cœur à cœur ou encore d’esprit à esprit. Sa nature pouvait prendre toutes les formes imaginables et inattendues. Quant à sa forme, elle pouvait s’adresser tout à la fois à l’intellect, au corps, à l’esprit, au cœur ou à l’âme. C’est ainsi que Hikitsuchi Sensei donnait tout : tout ce qu’il avait reçu de O Sensei, tout ce que ce dernier avait réalisé et était devenu. Il avait intégré l’enseignement et l’avait incarné. C’est ainsi, aussi, que l’enseignement profond de O Sensei continue de se transmettre de celui qui a fait l’effort de suivre son Sensei à celui qui est prêt à faire l’effort de le suivre, celui qui est réellement prêt à recevoir.
Puisse cet enseignement traverser les âges et continuer d’ensemencer le cœur des hommes !