Misogi et kannagara
06.11.2024
Misogi
Pour O Sensei, misogi est la purification. Purification du corps, de l’esprit et de l’âme. C’est l’action de chasser les mauvais esprits, de se débarrasser de toutes les mauvaises énergies. Cela revient, notamment, à se débarrasser de son égo, source de toutes les souffrances. Parmi elles nous trouvons, entre autres, la peur, le découragement, la frustration, l’insatisfaction chronique, la désespérance, la dévalorisation de soi. Se débarrasser de son égo crée le vide intérieur et permet à la véritable essence de vie de diffuser son doux parfum de sérénité, de tranquillité, de paix intérieure, de confiance, de liberté, de joie et d’amour. C’est accéder à un état de grâce, « un état de pur délice et de gratitude débordante » (O Sensei).
Se débarrasser de son égo est une entreprise ardue, un long combat intérieur. Ce combat ne peut être mené que grâce aux indications d’un sensei au regard clair et tranchant, ainsi qu’aux successions de pratiques effectuées avec ses sœurs et frères d’armes dans le dojo. Évoluer sur les tatamis, c’est se mettre à nu, montrer ses fragilités et prendre conscience de son égo. C’est se confronter à soi, à toutes ses facettes, même les plus obscures. C’est laisser remonter à la lumière du conscient tous les conditionnements et traumatismes enfouis dans l’inconscient. Cette démarche est un dô, un long cheminement qui requiert du courage, de la persévérance, de la patience et un engagement sans failles. Rares sont celles et ceux qui parviennent à en suivre la voie. Ceux qui y parviennent sont des guerriers de la paix. Aïkido n’est ni un sport de combat ni une discipline de self défense, mais un combat sans merci que se livrent les aïkidokas pour se débarrasser de toutes leurs impuretés afin d’accéder à un état d’être humain réalisé, afin d’accéder à leur véritable nature humaine. Ceci est takemusu aïkidô.
Sur ce chemin, lorsque l’aïkidoka se retrouve au pied de la si haute montagne intérieure, il prend peur, nombreux se découragent. Pourtant la nature donne à chacun les ressources tout juste nécessaires pour parvenir au sommet, pour accéder à un nouvel horizon, à un nouvel état d’être. Il convient de mettre un pied devant l’autre et de cheminer au rythme du pas lent du guide de haute montagne. Avancer tantôt sur un sentier escarpé, raide, rocailleux, dans le brouillard, tantôt sur un chemin plus large traversant de vastes plaines fertiles, avancer toujours. Ganbate o kudasasaï !
Kannagara
Lorsque l’égo se retire, le vide se réalise, le silence se fait, laissant la source de toute vie répandre son doux parfum de sérénité, de clairvoyance, d’harmonie, de joie et d’amour. Une force pure, délicate, invisible bien sûr, mais clairement perceptible par l’aïkidoka, puissante et douce à la fois, rayonne alors et clarifie les perceptions, les pensées et les actes.
Durant les pratiques et tout en accomplissant le misogi, l’aïkidoka s’entraîne à unifier son énergie à celle de la « grande nature », à celle de l’univers, à la source de vie et de toute création. Son entraînement vise à vider son kokoro, cœur-esprit, à rendre son corps souple et délié, sans tensions, afin que le flux d’énergie vitale de la nature, dont il fait partie, puisse s’écouler en lui de la manière la plus fluide, libre et forte possible. Il en devient alors le réceptacle et le miroir. Michio Hikitsuchi Sensei, 10e dan, disait : « Aïkido, c’est nettoyer incessamment sa marmite intérieure de manière à ce qu’elle brille. Alors la lumière s’y reflète. » Puis il ajoutait : « Mais cette lumière ne nous appartient pas. »
Cette lumière est le souffle de vie, l’énergie des kamisama, kannagara, écoulement divin du ki, de l’énergie. La forme traditionnelle de la pratique de l’aïkido entretient encore actuellement les pratiques sacrées enseignées par O Sensei, secrètes et mystiques, permettant de se relier aux kamisama. Ces pratiques remontent à des temps antérieurs à l’apparition du shintô au Japon.
Chaque personne possède en elle une petite flamme de vie. Toutefois, cette dernière est recouverte de nombreuses couches de conditionnements et d’égo qui l’empêchent de croître et de rayonner. Pratiquer l’aïkido, c’est se défaire petit à petit de chacune de ces couches, comme lorsqu’on épluche un oignon. Alors, peu à peu la lumière s’intensifie et rayonne davantage. L’important, disait O Sensei, n’est pas de parvenir au but, mais d’être en chemin. Le chemin, dô, est lumière. Plus l’aïkidoka chemine, plus il rayonne. Il devient comme un phare, éclairant le monde et le débarrassant de ses impuretés. Ceci est takemusu aïkidô. L’aïkidoka, ce guerrier de la paix, avec son cœur-esprit immuable, fudo shin, son ancrage solide, son centre fort, son esprit clair et son cœur ouvert, saura éviter tout fanatisme et traverser les épreuves de la vie avec sincérité, sérénité, dignité et bienveillance. Il est l’expression de shin zen bi, la vérité, la bonté, la beauté.
Jean-Pierre Kunzi
Aikido Geneva Takemusu Dojo